CHAPITRE XVII
Obi-Wan quitta la cabine de Qui-Gon et se mit à errer sans but dans les couloirs. Il échoua près de la salle des machines, et contempla le paysage désolé de cette planète sans nom.
Cinq lunes évoquant des fruits mûrs dans divers tons de bleu et de rouge dominaient un océan silencieux. Un vol de draigons endormis aux ailes déployées passait haut dans le ciel. Le rivage n’était qu’un morceau de roche sculptée par les vagues. Plus loin à l’intérieur des terres, des pics volcaniques crachaient des nuages de vapeur. Leurs nombreuses arêtes servaient de perchoirs aux draigons.
Une porte s’ouvrit derrière lui. Si Treemba le rejoignit.
– Nous vous avons cherché.
– J’avais besoin de réfléchir, répondit Obi-Wan.
Il était néanmoins content de voir son ami. Durant leur rencontre avec Jemba, l’Arconien lui avait prouvé à quel point il lui faisait confiance. Ce moment avait forgé une amitié indéfectible, et tous deux le savaient.
– Pouvons-nous vous demander ce qui vous préoccupe ? demanda Si Treemba.
– Lorsque j’étais dans le Temple, je me plaignais de la dureté de mon existence. Mes journées étaient consacrées à l’étude et à l’exercice. Nous devions donner le meilleur de nous-mêmes. J’avais le plus grand respect pour mes professeurs et je croyais savoir non seulement comment survivre, mais aussi comment exceller dans tous les domaines. (Obi-Wan inspira profondément avant de reprendre :) Maintenant, je comprends que je n’avais pas la moindre idée de tout ce Mal qui pourrit l’univers. Je n’avais encore jamais rencontré l’avidité incarnée, comme chez Jemba et chez ces pirates. Cela m’écœure.
– C’est normal, affirma Si Treemba. C’est horrible.
– Maintenant, je me demande… si je porte en moi les germes de cette même avidité.
L’Arconien regarda son ami d’un air étonné. Le visage du garçon trahissait son angoisse.
– Pourquoi une telle question, Obi-Wan ?
– Parce que j’ai toujours voulu devenir un Jedi. C’était le but de ma vie. J’étais prêt à me battre pour cet honneur et je me mettais dans une colère noire lorsque quelqu’un voulait m’en empêcher.
– Un Jedi a beaucoup à offrir à ses contemporains, répondit Si Treemba, pensif. Il protège les faibles et se bat pour le bien de tous. Nous ne croyons pas que ce soit une preuve d’avidité que de vouloir faire le bien.
Obi-Wan acquiesça sans détourner les yeux de l’océan. Il avait le mal du pays. Comme il aurait voulu se retrouver au Temple, là où tout était clair, où tout avait un sens. Jeté dans le vaste monde, il se sentait perdu.
– Dans quelques heures, il fera jour. Tu en as déjà tant fait pour moi, Si Treemba. Mais voudrais-tu m’aider une dernière fois ?
– Bien sûr, répondit aussitôt l’Arconien. Comment ?
– Aide-moi à surmonter ma colère.
Ses poings étaient serrés. Il les regarda, détendit ses doigts, puis agrippa le cadre de la fenêtre.
– Jemba m’inspire une telle fureur ! Il veut manipuler les autres pour son propre profit, et pour ça, je le tuerais avec joie. Mais je n’aime pas ces sentiments. Qui-Gon a raison. Si je tente d’arrêter Jemba, ce sera pour assouvir ma propre rage.
– Vous avez l’air calme, remarqua Si Treemba.
– C’est parce qu’il s’est passé quelque chose… ou plutôt, parce que je viens de comprendre quelque chose. Qui-Gon ne me prendra jamais comme Padawan. Il pense que je n’en suis pas digne, et peut-être a-t-il raison.
– Et vous n’êtes pas furieux ? s’étonna Si Treemba.
– Non, je ressens quelque chose d’étrange. Comme si on m’avait soulagé d’un grand poids. Peut-être ferai-je un bon fermier. Et… il y a plus important que d’être un Jedi. Je me contenterai d’être quelqu’un de bien.
– Et Jemba ?
– Un jour, Yoda m’a expliqué qu’il y avait des milliards d’êtres vivants dans la Galaxie pour quelques milliers de Chevaliers Jedi seulement. Il dit que nous ne pouvons corriger toutes les injustices de l’univers. Tous ces êtres doivent apprendre à rendre justice sans forcément faire appel aux Jedi. C’est peut-être la solution pour les Arconiens. Je ne sais pas ce que je ferai dans l’avenir. Mais aujourd’hui, je préfère ne plus combattre.
Obi-Wan se tourna vers son ami.
– Je t’ai demandé de quitter tes compatriotes arconiens afin que nous puissions vous aider. Et je ne reviendrai pas sur cette promesse. Je ne veux pas te voir souffrir une seconde fois du manque de dactyl. Je suis de ton côté, Si Treemba. Ensemble, nous trouverons un moyen.